[CHRONIQUE] Electropop (Depeche Mode - Music for the Masses, 1984 / Bel Canto - White Out Conditions, 1987)
Grace soit rendue aux ingénieurs des sociétés Roland, Yamaha, E-MU, ou Korg, créateurs de modèles de synthétiseurs à prix abordables que nombre de combos de jeunes britanniques (OMD, Depeche Mode, Human League, Ultravox et autre Soft Cell) vont acquérir au début des années 80, se prenant pour les nouveaux Kraftwerk. Passé les œuvres de jeunesse, parfois un peu naïves, s’ouvre celle des chefs d’œuvres, dont Music For The Masses est sans douté le plus abouti. Les synthétiseurs sont partout (joués par Alan Wilder, Andy Fletcher, Martin Gore), portant les compositions lyriques de Gore et épaulant la voix habitée de Dave Gahan. Ils se font pianos martelés (Never Let me Down Again, Stangelove), ou romantiques (Nothing, Pimf), nappes célestes (The Things we Said), flûte ethnique (Behind the Wheel), drones (Stangelove) ou cloches, basse synthétique (Sacred), samples (I want you know) voire violons dont l’authenticité ne trompe personne (Little 15). Souvent un peu vieillis ou clichés, l’objectif de ces sons synthétiques est bien moins d’imiter de vrais instruments que de servir le discours du groupe de Basildon, lui donnant une expressivité qu’on croyait disparue dans la pop/rock de l’époque. La performance vocale de Dahan, les textes prenants de Gore donnent naissance à des titres tour à tour épiques (Never Let me Down Again), intimes (onirique The Things we said, sensuel I want you know), poignants (Little 15), angoissants (To Have and To hold) ou gothiques (Pimpf), portés par des instrumentations complexes et des effets dramatiques parfaitement maîtrisés.
Cette variété d’atmosphères et de dynamiques explique que cet album, arrivé à un degré de maîtrise des technologies de l’époque, ait eclipsé les autres créations analogues de la même époque. Malgré l’absence de sons naturels, c’est véritablement un grand album soul, très homogène en qualité, alternant morceaux pops lyriques, énergiques ou sensuels, ouvrant à Depeche Mode les portes des stages du monde entier.
Depeche Mode avait donc trouvé le Graal de l’electro-pop : lui insuffler une âme. Ne jamais être esclave de son Yamaha DX7. Au contraire, l’utiliser pour peindre des paysages, évoquer des émotions… Eric Serra saura s’en souvenir (Le Grand Bleu), de même qu’un trio d’adolescent norvégiens, rassemblés sous le nom de Bel Canto. Ces trois là ne rechignent pas à superposer moult instruments acoustiques (mandolines, percussions, vents divers et variés) sur leurs nappes de synthétiseurs, basses synthétiques et autres boîtes à rythmes. Tous les ingrédients sont là pour évoquer les étendues désertes de la baltique (Baltic Ice-Breaker), les conditions de froid extrême (White Out Conditions, ses clochettes celestes et ses arpèges de mandoline), les landes désolées de l’Artique (l’instrumental Upland), dans un dénuement ambient rappelant Brian Eno ou Arvo Part.
In the light of my fire
I see footsteps in snow
In white-out conditions
My eyes have no view
In the light of my fire
I see grey sticks in snow
In white-out conditions
There's no trace of the track at all
Sur d’autres titres, Bel Canto rentre en transes sur des rythmes tribaux biens plus chauds (Dreamin Girl, Agassiz, Kloeberdanz, Chaideneio), ou invoque les esprits dans des langues étrangères (Capio). Partout, le timbre d’Anneli Marian Drecker virevolte, gaie, mélancolique ou rêveuse, quelque part entre Kate Bush et Liz Frazer. On la retrouvera d’ailleurs avec le même plaisir sur les albums suivants de Bel Canto , ainsi que chez A-ha et Royksopp.
Depeche Mode - Never Let me down again en live (1987)
Depeche Mode - Things you said (live 1988)
Bel Canto - Blank Sheets
Quelques chroniques :
http://clashdohertyrock.canalblog.com/archives/2011/01/25/20214655.html
http://www.xsilence.net/disque-1142.htm